Le Pays Gentiane, Cantal

Il fait encore très sombre. Pourtant je le devine, noir et imposant, qui me surplombe lorsque j’effectue mes premiers pas sur le sentier qui court sur son flanc. L’air est encore frais, limite froid, et les cailloux roulent sous mes semelles alors que je progresse. Je suis sur les pentes d’un lieu emblématique du Cantal, point culminant du Pays-Gentiane et l’un des sites parmi les plus visités d’Auvergne, le Puy-Mary.
Le Pays Gentiane, des Monts du Cantal à l'Artense
Pourtant, il n’est pas l’objet de ma quête. Je le laisse sur ma droite et me dirige, doucement, en direction du passage réputé des Fours du Peyre-Arse et de la Brèche de Rolland. Alors que j’effleure de la main les myrtilliers qui tapissent le versant du plus grand volcan d’Europe, l’horizon se teinte d’une lueur jaune-orangée. Le soleil ne tardera plus à mettre en lumière ce spectacle grandiose et la silhouette massive du Puy-de-Peyre-Arse, destination finale de ma pérégrination matinale, se fait de plus en plus présente.

Quelques minutes plus tard, je suis assis sur la pierre volcanique, vestige d’un passé mouvementé, et mon regard se tourne vers la pyramide du Puy-Mary. Je savoure l’idée d’être seul pour le spectacle « sons et lumières » qui s’annonce, du lever du soleil sur les Monts-du-Cantal.
Le Cantal, plus grand édifice volcanique d'Europe
Bercé par le son des sonnailles lointaines, dont le rythme qui s’accélère témoigne du mouvement des troupeaux de Salers déjà montés en estive, mes pensées se perdent en tentant d’imaginer les forces qui furent à l’œuvre ici.
Outre le feu et la puissance qui furent nécessaires pour construire cet édifice volcanique, aussi vaste et complexe que tourmenté, le froid, les éléments et le temps ont également marqué de leurs empreintes ces hautes-terres cantaliennes. Si ce sont bien les laves crachées par les cheminées multiples du volcan, dont les plus visqueuses sont à l’origine des sommets les plus hauts et celles, plus fluides, des immenses plateaux qui s’étalent à la périphérie de l’édifice, ce sont bien les glaciers qui ont creusé les vallées profondes qui rayonnent tout autour.

Le Pays Gentiane dans le Cantal, un territoire de pêche d'exception
Sous mon regard, des rivières dont les noms résonnent aux oreilles des pêcheurs, telles que le Mars, la Véronne ou encore la Rhue de Cheylade, divaguent aujourd’hui sur le fond des vallées éponymes. Elles isolent les unes des autres les différentes planèzes, dont celles de Trizac et de la Font-Sainte, sur le territoire du Pays Gentiane.

Du haut de ce promontoire, la vue se perd au loin sur le plateau de Millevaches ou, plus près et plus au Nord, sur l’Artense et le Cézallier, derrière lequel se dresse un autre géant auvergnat, le Puy-de-Sancy.
Le soleil est déjà haut dans le ciel lorsque je m’engage sur le chemin du retour. Depuis un moment déjà, j’ai remarqué les petites taches colorées qui évoluent, ici, en direction du sommet du Puy-Mary, duquel il est parfois possible d’apercevoir les Alpes, ou encore là, sur le sentier juste en dessous. Mes congénères bipèdes, moins matinaux que moi, prennent le chemin des montagnes pour tenter d’apercevoir marmottes et mouflons et assouvir leur soif de grands espaces. Peut-être sont-ils sur la route du Plomb-du-Cantal ou du Puy-Griou, via le col de Cabres?

Tourisme et randonnées dans le Pays Gentiane
Moi, je redescends dans la vallée et prends la direction du Nord, à l’image de la Petite-Rhue qui, de courants en cascades, quitte peu à peu sa large vallée en auge pour s’enfoncer dans des gorges aussi profondes qu’inaccessibles.

Les paysages se sont refermés. Des vastes et vertes estives, pigmentées de jaune par les gentianes, nombreuses à cette saison, et ponctuées de burons, témoins d’un temps révolu et sacrifiés, pour la plupart, sur l’autel de la modernité [sic], j’évolue maintenant sous le couvert des arbres.
Les cours d’eau, qui s’écoulent maintenant sur les roches, anciennes, du socle du Massif-Central, dessinent le paysage. La résistance des vieux granites est à l’origine des nombreuses gorges, profondes et escarpées, puisque, empêchées dans leur divagation, les rivières n’ont pas d’autre choix que d’inciser profondément le substrat pour dissiper leur énergie. Petite-Rhue, Sumène, Marilhou, Grande-Rhue, et j’en passe, tous découpent les plateaux et participent au morcellement du relief.

Pourtant, si la topographie tourmentée des lieux participe à l’isolement, relatif, des « Pays coupés » du Nord du Pays-Gentiane, si les pentes, raides et boisées contraignent souvent, voire interdisent, la circulation, elle offre également des paysages aux ambiances particulières.

Le Nord-Ouest Cantal, un territoire sauvage et préservé
Je traverse une ultime clairière, découpée à l’emporte-pièce dans une forêt omniprésente et propice à l’observation des animaux sauvages : biches, cerfs, chevreuils et parfois chamois, qui, lorsque la nuit tombe, quittent la relative sécurité du bois pour venir profiter des pâturages.
Loin de la fréquentation des pistes et autres sentiers du cœur du massif, les chemins que j’emprunte maintenant ne sont connus que de quelques initiés et je savoure la chance que j’ai d’être là. Bien que le soleil ait réchauffé toute la journée l’atmosphère cantalienne, pourtant réputée froide et humide, je sens le frais qui m’enveloppe. La température du sous-bois, l’odeur caractéristique de la rivière, qui occupe ici l’intégralité du fond de la vallée et la mousse, qui envahit de plus en plus les troncs, ne trompent pas, je sais que je touche au but tandis que je pénètre sur son territoire.

Les éphémères, aux teintes et aux tailles variées, virevoltent au-dessus de l’eau et viennent frapper la surface avec leur abdomen pour déposer leurs œufs dans un ballet incroyable et hypnotique, à peine troublé par le passage rageur du cincle-plongeur. Cruelle destinée que la leur qui, une fois leur cycle de reproduction naturel achevé, n’ont plus la force de s’envoler et dérivent, agonisante, dans la pellicule de l’eau. D’insecte magnifique et gracieux, elles ne sont plus que cadavres et bouchées pour la truite qui règne en maître en ces lieux et vient cueillir du bout des lèvres les imagos défunts.

Mais si la truite est encore bien présente dans les rivières du Nord-Cantal, malgré de nombreuses agressions anthropiques sur les milieux naturels en général et aquatiques en particulier, quelques indices me révèlent la présence d’un autre prédateur. Une salamandre, dont seule la tête et la queue, séparées l’une de l’autre, reposent à côté d’une épreinte, chargée d’os de batraciens et, encore humide, témoigne de la présence de celle que je suis venu tenter d’apercevoir, la loutre.

Malheureusement, les premières chauves-souris commencent à venir se délecter des insectes nombreux en virevoltant au-dessus de l’eau et, avec leur apparition, je sais qu’il fera bientôt nuit. Il est temps pour moi de rebrousser chemin. Peut-être aurai-je plus de chance la prochaine fois que je viendrai me promener dans le Pays-Gentiane.
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